il était libre, cette nuit là. libre d'aller et venir, de parcourir les ruelles qui, comme les vaisseaux sanguins, traversaient la ville laissant s'écouler un flot d'âmes plus ou moins important. il évitait les grandes artères, celle plus prisées que les autres, plus bruyantes aussi. il chérissait le silence de celle que l'on évite parce qu'elles sont trop sombres, trop lugubres. elles étaient spacieuses quand les corps ne se heurtaient pas les uns aux autres, elles laissaient l'oxygène inonder les poumons d'un air frais, presque pur, c'était agréable de pas se sentir étouffé par l'univers, de ne pas suffoquer sous la chaleur des carcasses transpirantes et les regards insistants. il traînait le pas, observait les fissures qui parcouraient les murs de bâtisses délabrées, de dangereuses veines qui menaçaient d'exploser et d'emporter avec elle quelques mètres carré de gravats et, probablement, quelques vies au passage. il observait les quelques nuages comme de petits bouts de cotons courir sur le voile noir qui s'était étendu sur la ville. Ils menaient une lutte sans fin, les halos artificiels, ils tentaient, tant bien que de mal, de repousser les ténèbres, de rassurer par leur pâle éclat, les oiseaux de nuit venus se perdre dans les bars, chez des amis, dans les bras de leurs amants. il errait, se perdait ici et là, sans but précis, sans envie, presque sans vie. il n'appréciait guère la solitude des soirée festives. il pouvait entendre, au loin, des éclats de rire résonner entre les murs, sur les toits, dans les coeurs. il avait envie, parfois, de se glisser dans des soirées où  l'ivresse balayait les rancoeurs et ouvrait les esprits. il avait envie, seulement. il passait son chemin, souvent. comme l'écume de la houle agitée, il se détachait, s'échouait dans des bars où s'engouffraient les âmes déchirées, peu enclin à se déchaîner sur une piste, dans les rues, dans les boîtes. il y avait terminé sa course, cette nuit encore. il avait poussé la petite porte, esquissant un sourire, laissant s'échapper quelques formalités avant de s'avancer lentement. ses yeux avaient balayés l'entièreté de la salle avant que son corps, comme un automatisme acquis il y a quelques années de ça, ne le pousse à s'asseoir au bar, laissant ses mains effleurer le bois collant et crasseux. Il ne l'avait pas vu. Il n'avait pas vu ce regard insistant, ce visage aux traits parfaitement sculptés, cette silhouette familière qu'il avait tant admiré. Il ne l'avait remarqué qu'une fois l'oeil attiré par cette crinière, cette délicieuse crinière brune. « Cos ? » avait-il soufflé « Cosima ? » Il avait hésité, un instant, rien qu'un instant avant de se reculer légèrement. Il n'était plus lui. Elle n'était plus elle. Le temps était passé, le temps avait emporté avec lui l'innocence et les souvenirs d'une adolescence immaculée. Il s'était ravisé, brusquement, esquissant un léger sourire. « Salut. » Léger, simple, moins nuancé, plus sommaire.