nuit noire. silence de plomb. ou presque. bruit de foules. terasses de bars bondées. liquide amer qui coule dans sa gorge. qui lui la brûle. l'alcool qui se mêle à son sang. hugo, il est habitué à ça. à boire, quand il sort. seul ou avec des potes. il a toujours un verre à la main. ou du moins, souvent. il boit pas jusqu'à se retrouver au sol. il boit juste un peu, pour être bien. juste bien. pour profiter au mieux de sa soirée. il aime pas boire comme un trou. il déteste ça, même. il voit pas l'intérêt là-dedans, hugo. de boire jusqu'à ne plus pouvoir aligner trois pas. de boire jusqu'à finir la tête plongée dans la cuvette des toilettes. alors hugo ce soir, il a juste un peu bu. juste assez pour sentir l'effet de l'alcool dans son sang. alors il arrive encore à marcher droit, hugo. il voit encore clair. y'a les réverbères qui éclairent les rues. les lampadaires qui allongent les ombres dans la nuit. y'a la lune qui surplombe le ciel. boule lumineuse qui lui fait mal aux yeux, à hugo. et y'a les étoiles. les étoiles dans le ciel. y'en a un tas. on peut pas les compter. c'est impossible. ça donnerait la migraine au bout d'une centaine. on s'y retrouverait même plus. c'est sans doute ça, le plus fascinant. c'est sans doute ça, ce qui le fascine le plus, hugo. alors il longe les rues, les mains dans les poches. la tête relevée vers le ciel. il est pas seul, hugo. il est avec deux de ses potes. les habitués. ceux avec qui il sort trois soirs sur sept. avec qui il fait la tournée des bars. avec qui il l'a refaite ce soir, d'ailleurs. « ça vous fascine pas, les gars ? qu'on soit genre minuscules face à cet étendu immense ? » les autres sont ivres. presque morts, intérieurement. ils ont beaucoup bu. beaucoup plus que hugo. ils ont aucune limite, faut dire. ils peuvent pas s'arrêter, c'est comme ça à chaque fois. et ils sont cons, quand ils ont bu. « t'as vraiment des réflexions de tapette parfois, hugo. » que balance l'un. en rigolant comme un porc après, forcément. ça lui arrache un sourire à hugo. parce qu'il sait que c'est pas méchant. parce qu'il sait que c'est l'alcool qui parle. et pas son pote. alors il répond pas à ça, hugo. il ignore, le sourire aux lèvres. sourire aux anges. sourire en coin, idiot comme à son habitude. ça le vexe même pas, ces propos. « oh putain les gars, ça vous dit de bien finir la soirée ? on arrive dans le coin des putes. c'est pas bien de finir une soirée seul, vous savez bien. allez hugo, j'suis sûre que t'en est pas capable. fais pas ton fragile, montre ce que t'as dans le ventre. » et hugo, il a pas le temps de répondre. il a même pas le temps de les dévisager, ses potes. il les voit filer, allez vers quelques unes de ces nanas clouées aux trottoirs. celles qui attrapent froid tellement leurs jupes sont courtes. hugo, il aime pas ça. il aime pas ce terme de pute. il sait que la plupart, elles ont pas forcément eu le choix. elles ont pas forcément eu envie de se retrouver là. la plupart, elles courent un grand danger tous les soirs. mais hugo y'a sa fierté, forcément. le défi qui reprend le dessus. alors hugo, il se laisse avoir. il écoute, au doigt et à l'oeil. faut pas qu'il se dégonfle, il paraît. alors il se dirige vers l'une d'entre elle. une brune. fine. plutôt mignonne, faut dire. hugo, il est perplexe. pas à l'aise. alors il passe une main sur l'arrière de sa tête. « salut... écoute, ça peut paraître bizarre mais j'suis pas là pour ton corps. enfin si mais... » il est maladroit, hugo. un peu bête, parfois. il se perd dans ses mots. c'est la première fois qu'il est confronté à cette situation. la première fois qu'il propose à une prostituée de passer la nuit avec lui. et il est un brin timide, hugo. même si c'est pas le cas d'habitude. « excuse moi, j'suis maladroit. y'a un de mes idiots de potes qui m'a mis au défi de passer la nuit avec une prostituée et par manque de bol, c'est tombé sur toi. mais j'veux pas forcément profiter de toi alors... tu veux bien que je t'invite prendre un verre ? » y'a de nouveau ce sourire sur le coin de ses lèvres, à hugo. parce qu'il se sent bête. maladroit. ça l'amuse et en même temps, pas trop.

Pas le choix. Toujours dans la rue, à faire le tapin. Elle qui rêvait d'aider les autres, de suivre les traces de ses parents en quelque sorte, pour devenir médecin... Voilà où elle en est. Destinée à vendre son corps à des hommes qui se fichent de ses peines et de ses besoins. On la regarde comme un morceau de viande, plutôt que comme une jolie fille à qui on viendrait bien parler. Elle l'était pour lui, pour son Misha. Il était si beau, si gentil, si courageux... Si jeune quand on lui a pris aussi. Elle l'aimait à la folie, Lola, et lui aussi. Il n'avait d'yeux que pour elle. C'était beau et pur à la fois. Peut-être même qu'il voulait lui demander sa main. Aujourd'hui, elle n'a plus rien. Plus de famille, plus de copain, plus aucun projet. Elle est malheureuse, sans savoir comment sortir de ces histoires dans lesquelles elle s'enlise. Y a cet homme qui trouve tout son intérêt dans le fait que comme d'autres, elle soit condamnée à errer sur ce trottoir. Elle, elle veut s'en sortir... Elle fait tout pour, elle cherche des papiers, tente de se faire à cette langue qui lui est totalement inconnue.  C'est bien plus difficile qu'elle ne le pensait en réalité, mais elle ne baisse pas les bras, malgré les coups de blues. Finalement, un groupe de jeunes s'approche. Que des hommes. Elle sait d'avance ce qu'ils cherchent. Son corps. C'est ça tous les soirs, et ça l'épuise. Physiquement, moralement aussi. Parmi eux, un s'approche d'elle. À force, c'est comme si elle savait ce qu'ils allaient dire, puis, l'entraîner dans une voiture ou une pièce pourrie pour faire leur affaire et s'en aller. « Salut. » dit-elle avant qu'il ne prenne la parole. Il a l'air gêné, et même si ça n'amuse pas Lola, elle doit mettre à l'aise ces hommes qui profitent d'elle et de sa détresse. Il prend enfin la parole, et elle comprend un peu. Il prétend être différent, ne pas vouloir son corps, mais le vouloir quand même. C'est ce qu'elle saisit. En même temps, il n'a pas l'air de savoir quoi faire, et elle espère que ce n'est pas un rôle qu'il joue, juste parce qu'elle n'est pas une fille normale. Elle l'entend s'excuser, comprend n'être qu'un défi. Au mauvais endroit, au mauvais moment. Il se rattrape un peu, il a l'air de savoir comment faire finalement. Il lui propose un verre. D'habitude, ce n'est pas comme ça, et ça la choque, alors que ça ne devrait pas. « Oui. » répond-elle alors, avec un sourire. Peut-être qu'il voudra plus, ensuite. Mais elle ne refuse pas, parce que ça la fait se sentir normale. « Que toi... Et moi ? » demande-t-elle, sans être sûre de ses mots, son accent de l'Est toujours aussi présent. Elle ne veut être qu'avec lui, parce qu'elle ne fait pas confiance aux autres... Elle ne veut pas être seule avec cette bande de jeunes hommes. Puis, elle remet sa petite veste en faux cuir qu'elle avait retirée, rien que pour mettre ses atouts en valeur. Elle ne peut pas cacher ses jambes, mais elle a l'habitude. « Je suis Lola. » dit-elle, sans le quitter du regard. Ses grands yeux bleus, posés sur lui.