Il n'avait pas extrêmement envie de sortir, mais ils s'étaient écrit plus tôt dans la semaine pour se faire une soirée ensemble, et même si se bouger de son canapé ne l'enchantait pas vraiment, il espérait qu'une fois sur place, il comprendrait pourquoi il avait fait tout ça. C'était toujours la même chose, de toute façon. Il y avait parfois des déceptions, mais la plupart du temps, il finissait par ne pas regretter d'être venu. Il sortait de plus en plus ces temps-ci, rien à voir avec le peu de sorties qu'il faisait il y a encore un an, quand il préférait rester cloîtré chez lui pendant des jours entiers. Il fallait se rattraper un peu. Et essayer de sauver les quelques amitiés qu'il lui restait, les relations qui avaient survécu, ce qu'il avait pu conserver de son "avant". Sa vie était constituée d'un avant et d'un après, avec pour milieu l'espèce de crise dépressive sur laquelle il détestait mettre un terme clinique ou commun, parce que ça lui donnait trop l'impression d'être comme tout le monde, comme n'importe qui. Et pour un artiste, être n'importe qui, c'était la pire des horreurs. Une fois douché, habillé d'un jean et d'un t-shirt, coiffé et prêt à partir, il quitta son appartement et se mit en route. Le bar où ils s'étaient donné rendez-vous était un endroit qu'ils connaissaient tous deux, où les habitués et quelques curieux venaient siroter des cocktails en terrasse tout en dégustant des tapas pendant que la nuit tombait doucement sur Séville. C'était à  la fois animé, et assez calme pour ne pas avoir à hurler pour tenir une conversation. Elle était déjà là, et en la voyant il se pressa un peu. Un léger sourire. « Salut » Et il se glissa dans la chaise en face d'elle. C'était toujours étrange, à chaque fois qu'ils se voyaient. Pourtant, ils se connaissaient depuis tellement longtemps, ils avaient grandi ensemble et savaient certainement bien trop de choses embarrassantes l'un sur l'autre. Ca n'avait pas aidé à les garder unis. Il ne lui demanda pas comment elle allait, l'expression étant sortie de son vocabulaire une fois qu'il eut compris que ce n'était qu'une formule de politesse à laquelle on était de toute façon forcé de répondre positivement. « Alors t'as un soir off... C'est cool. Ca doit pas être fréquent... A ce que j'ai compris ça marche plutôt bien pour toi » il fit, pour lancer la conversation. Il ne réalisa qu'après coup que c'était une mauvaise idée de partir sur ce sujet-là, celui de sa réussite à elle alors que lui était en plein échec. A croire que tout ce dont il était capable de parler, c'était ça. Ca devait l'obséder, au fond.

Plus tôt dans la semaine, Dalia avait envoyé un message à Alban. Alban, c'est une longue histoire. Un ami avant tout. Mais aussi le genre avec qui elle se consolait, après avoir dû laisser sa fille. Ça lui faisait du bien, de se perdre un peu dans ses bras, de ne pas en parler. Tout faire pour oublier, mais jamais ça n'a fonctionné. À l'époque, ça l'avait changée, Dalia. Elle avait beau sourire pour sauver les apparences, il ne restait plus rien de celle qu'elle était. L'adolescente pleine de vie, amoureuse d'un garçon avec qui elle n'avait rien en commun. Elle était différente dès le départ, n'accordait pas d'importance à cette hiérarchie des classes que ses parents respectaient scrupuleusement. Elle aimait Finn, vraiment. Aujourd'hui... Ce n'est plus pareil. Elle a tenté d'aller de l'avant, de l'oublier. Elle n'a aimé que lui, alors son passage dans sa vie sera toujours un peu différent de celui des autres hommes. C'est le père de sa fille, et absolument rien ne pourra effacer ça. Alban, il lui évoque souvent ce passé dont elle ne parle pas. Cette fille dont on l'a contrainte à se débarrasser. C'est peut-être aussi pour ça, que c'est devenu aussi bizarre entre eux, mais ce n'est pas seulement de la faute de Dalia. Son ami, il a changé. Ils se sont éloignés au point de ne plus savoir comment se parler sans se montrer maladroit, tant la situation les gêne. Elle veut le voir, elle aimerait arranger les choses sans savoir comment s'y prendre. Plutôt que de réparer, elle a tendance à tout détruire un peu plus, la brune, et c'est toujours plus ou moins volontaire. Finalement, elle arrive dans le bar, parfaitement apprêtée, les cheveux relevés. Comme si elle voulait lui faire bonne impression, repartir sur de bonnes bases. Il n'est pas encore là, alors elle s'installe n'importe où. Pour le premier verre, elle choisit de l'attendre, même quand un serveur plus que canon l'approche. Elle pourrait déjà flirter avec lui, en attendant Alban, mais elle tente de se tenir. Elle veut faire les choses bien. Finalement, il arrive, il la salue comme ça, « Salut ! » lance-t-elle. Mais ça sonne étrange... Parce que tout est étrange, et ça traîne encore et encore ces histoires. Elle déteste ça... Elle n'aime pas que les choses restent aussi instables, quand bien même elle soit loin d'être un modèle de stabilité. Il se met à entamer la conversation, parlant de ce travail dont elle pourrait parler pendant des heures. « Bah écoute ça va plutôt bien, j'ai quelques contrats à venir. Ça vient doucement mais sûrement. » dit-elle. Elle ne veut pas s'éterniser à parler d'elle non plus. Le serveur passe, celui qui est plus que canon, et prend leurs commandes. Une sangria, traditionnelle, mais une valeur sûre, pour Dalia. Puis un verre pour Alban. « Et toi alors qu'est-ce que tu racontes ? »